Pierre Truche nous a quitté l’an dernier, le 20 mars, des suites d’une longue maladie. Durant ses 90 ans d’existence, il a marqué son temps. Il a incarné la Justice de son pays d’une manière exemplaire. J’ai eu la chance de le connaître lorsqu’il était Procureur général près la Cour d’appel de Paris. J’étais à l’époque directeur de cabinet de Pierre Arpaillange, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, un autre grand magistrat. Le poste de Procureur général de Paris est l’un des plus exposés de la magistrature, car son titulaire doit animer l’équipe des magistrats du Parquet confrontés aux affaires les plus complexes et délicates, à résonance politique parfois, ou concernant les crimes souvent les plus affreux et bouleversants. Les Procureurs de Paris doivent résister à la pression médiatique, ce qui exige force de caractère et sang-froid.
Je me souviens de sa simplicité. Nous déjeunions parfois après une réunion de travail sur l’évolution de la procédure pénale dans son bureau d’une barquette de lasagnes réchauffées au four à micro-ondes dans son bureau même.
Pierre Truche avait un sens aigu de la responsabilité inhérente à la fonction de magistrat. Ne pas laisser impunis les crimes était l’une de ses préoccupations. Aussi ce n’est pas un hasard s’il a été un des artisans majeurs de la création de la Cour Pénale Internationale. Il a sans doute été ensuite déçu comme moi de la pratique de cette cour qui n’a pas répondu aux espoirs mis en elle. Il reste que le fait de pouvoir déférer devant la Justice les responsables politiques instigateurs de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre constitue une indéniable avancée conceptuelle.
Lorsque je fis sa connaissance, Pierre Truche s’était illustré comme Procureur général de Lyon ayant requis contre Klaus Barbie. Je me souviens de son intervention lorsque Barbie a refusé d’assister à son propre procès : il avait exprimé sa désapprobation en faisant valoir que les malheureux que Barbie avait torturés n’avaient pas eu ce choix de retourner dans leur cellule ! Je me souviens aussi de ses réquisitions. Après avoir déclaré que « le crime contre l’humanité suppose une plongée dans l’inhumanité », c’est cependant avec sobriété qu’il avait évoqué les atrocités commises au nom de la pureté de la race : par exemple, noyer des bébés parce qu’ils étaient nés de mères juives. Ses réquisitions mériteraient d’être commentées aujourd’hui dans les écoles, car il ne faut jamais oublier ce que l’être humain, non pas seulement individuellement, mais au niveau d’un peuple, est capable de faire ou de laisser faire en bien comme en mal absolu. Ses paroles sonnent toujours aussi justes alors que la lutte contre toutes les formes de racisme reste hélas d’actualité.
Pierre Truche percevait aussi l’ampleur de la responsabilité du magistrat qui accuse ou condamne. Préserver les garanties démocratiques, disait-il, demande au magistrat d’avoir conscience de ses biais émotifs ou idéologiques afin qu’ils n’interfèrent pas avec les décisions qu’il doit prendre. Ainsi au procès Barbie, il a insisté sur la nécessité de faire bénéficier « le boucher de Lyon » de l’ensemble des garanties de la procédure pénale.
Enfin, Pierre Truche appréciait l’humour et la dérision. Preuve en est que Procureur général de la Cour de Cassation, avec Pierre Drai, alors Premier président, il a accueilli en 1996 à la Cour une exposition organisée par l’association des amis d’Honoré Daumier de la série « Les gens de Justice » de Daumier mais qui comportait également l’exposition de statuettes de Plantu représentant des magistrats sous un jour pas toujours véritablement favorable !
Sans oublier que, pour l’avocate que je suis, Pierre Truche a jusqu’au bout plaidé notamment comme Premier président de la Cour de cassation pour un dialogue ouvert et confiant avec l’Ordre des Avocats aux Conseils, mais aussi avec l’ensemble des avocats des barreaux de France.
Fermeté et sens du dialogue, merci à Pierre Truche à qui je rends hommage pour les services rendus à la Justice et pour son exemplarité comme citoyen et comme magistrat de son pays.
Noëlle Lenoir Avocats
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